entete

DE LA RECHERCHE A LA FORMATION

Nous avons créé ce blog dans l'intention de faire connaître les travaux de recherche en didactique de la géographie. Notre objectif est également de participer au renouveau de cette discipline, du point de vue de ses méthodes, de ses contenus et de ses outils. Plus globalement nous espérons que ce site permettra d'alimenter les débats et les réflexions sur l'enseignement de l'histoire-géographie, de l'école à l'université. (voir notre manifeste)

dimanche 20 novembre 2016

Géographier aujourd’hui. Enseigner la géographie au collège et au lycée


Sous la direction de Marie-Claire Robic et Muriel Rosemberg avec les contributions de Bertrand Pleven, Arnaud Brennetot, Julien Champigny, Guilhem Labinal, Caroline Leininger-Frézal, Didier Mendibil, Marielle Wastable



Nouvelle ressource pouvant accompagner la mise en place des nouveaux programmes de collège de 2015 mais pensée de manière plus large pour traiter de l’enseignement de la géographie en collège et en lycée, cette copieuse publication de 9 chapitres et plus de 300 pages s’adresse « aux jeunes (ou futurs) professeurs d’histoire et de géographie » avec l’ambition de leur proposer fondements théoriques et applications destinées au travail en classe.

Fruit du travail de dix rédacteurs, l’ouvrage s’ouvre sur une longue introduction visant à cerner les contours de la discipline, son insertion désormais actée dans le champ des sciences sociales, son regard renouvelé envers les questions naturelles depuis le glissement de l’étude de leurs faits vers les sciences de la vie et de la Terre. Conclusion intéressante de cette mise au point : des définitions par la négative qui permettent de sortir des clichés (pp 48-49).

Le cœur du livre décline de nombreuses façons de faire, des entrées thématiques mobilisant des supports commençant aujourd’hui à rentrer dans les usages : l’art, par exemple, permet d’évoquer avec le cinéma, la BD ou encore la littérature, les spatialités des individus au travers des narrations et des illustrations. On peut notamment y travailler des parcours d’individus comme cela est proposé très concrètement pour le roman policier « Total Kheops » de Jean-Claude Izzo (pp 133-134).

L’étude des supports s’approfondit lorsqu’il est question de s’interroger sur le « statut didactique particulier » (p 297) de certains d’entre eux : les documents d’aménagement (chap. 9, point II), les médias d’actualité (chap. 4, point I), les magazines de géographie « grand public » (chap. 4, point II). La déconstruction des discours produits par ces documents doit servir à l’apprentissage des représentations, de la confrontation des points de vue, de la (non) mise à distance. Autant de démarches qui contribuent à développer le regard critique de l’élève et à lui faire conquérir un peu plus son autonomie. Et il est ici bon de rappeler « qu’un document n’est jamais vraiment géographique en lui-même, il le devient sur la base des interrogations que l’on formule à son sujet » (p 161). Cela est d’autant plus important à souligner que ces documents trouvent généralement une place de choix dans les manuels. Ainsi la mise en page, le rapport texte-image, les cadrages photographiques sont loin d’être neutres dans la conception des outils destinés à l’élève. Des indicateurs d’analyse existent comme « l’imagement » (p 97) qui, sur la question des images, permet de cerner la part des illustrations dans les pages d’ouvrages, le choix des lieux, l’ordre de défilement et le lien avec le texte principal.

Le livre propose également un bel éclairage sur divers concepts de la discipline, notamment les composantes du raisonnement géographique : le modèle hypothético-déductif y est bien décortiqué (p 65), les systèmes complexes aussi (p 66). Le fait que la signification des concepts peut souvent renvoyer à un véritable flou artistique est abordé de manière originale avec l’étude des résultats d’une recherche de mots clés sur google images (chap. 5, point II) : le côté esthétisant des images proposées perturbe la donne, la comparaison avec la langue anglaise également. Le cas problématique du développement durable est bien épluché (chap. 9, point III) : notion ni scientifique, ni géographique mais bien politique, elle ne prend pas en compte les acteurs ni les interactions et fait intervenir des temporalités bien souvent non concordantes. Les trois piliers ne peuvent pas vraiment se concilier.

Le regard sur les textes des programmes est porté aussi avec une dimension analytique : le thème de l’aménagement montre qu’il n’est pas évident pour le législateur de trancher entre angélisme et fatalisme (pp 286-287), entre une vision prescriptive et une vision plus engagée. Plus qu’un obstacle, il y a là une occasion de répondre au « défi pédagogique » posé par cette entrée : en étudiant différents scénarios, différents choix, on peut travailler l’étude de l’écart entre les objectifs affirmés d’une stratégie et les arbitrages de terrain. La lecture globale des textes officiels sert également à montrer qu’un objet d’étude peut prendre des acceptions très variées selon les différentes parties du programme dans lesquelles il se situe : cas du développement durable en 5ème (acception faible) et en 2nde (acception forte).

Enfin, le dernier apport majeur de l’ouvrage tient à la prise en compte de la progressivité des apprentissages. C’est sans doute ce point qui rend le mieux hommage au sous-titre du livre souhaitant faire le lien entre le collège et le lycée. Cette façon de procéder est abordée sur le thème de la ville (chap. 6, point II) mais réellement détaillée avec minutie sur la question cartographique (chap. 2, point II). Et on ne boudera pas son plaisir au sujet des quelques incursions dans le monde du primaire qui, désormais se raccroche au collège par le biais du cycle 3 : ici, c’est même à l’échelle de la jonction cycle 1 et cycle 2 qu’un paradoxe important est soulevé : « les élèves de maternelle sont de fait mobiles, c’est ensuite en cycle 2, alors que cette mobilité est plus réduite, qu’on leur donne les « clés » de l’espace » (p 73). De quoi réinterroger sérieusement le statut du déplacement dans les classes et à l’extérieur des établissements.

Des apports solides donc sur les questions des concepts, des supports, des programmes et des progressions. Toutefois, on pourra regretter un certain déséquilibre dans le poids des chapitres, notamment un très maigre volet sur la France des marges (question pourtant apparue au programme du CAPES et de l’agrégation) et certains points dont l’exploitation en classe n’est pas proposée comme c’est le cas souvent ailleurs. L’équipe composite montre également des degrés différents de connaissance du monde scolaire et de ses réalités, ce qui dessert également un peu la cohérence générale du texte tout comme le fait que certaines plumes s’avèrent très exigeantes alors que le texte, rappelons-le, s’adresse prioritairement aux novices. Ceci étant, rien n’empêche aux enseignants confirmés et aux formateurs de s’y plonger et d’y prélever la riche matière qui s’y trouve pour y géographier le monde d’aujourd’hui et de demain.  

jeudi 3 novembre 2016

Colloque Eurogeo – Vendredi 30 septembre - Session GeoCapibility



Colloque Eurogeo – Vendredi 30 septembre - Session GeoCapibility

Deux sessions de communication ont été dédiées au projet GeoCapabilities. C’est un projet européen qui a pour objectif de fournir du matériel de formation des enseignants en vue de développer la capacité de ces derniers à penser et à mettre en œuvre un curriculum en géographie. Six communications ont présenté le cadre théorique du projet et leur déploiement dans différentes contextes.

  • Richard Bustin How useful is the concept of GeoCapability for geography teachers?
  • Anke Uhlenwinkel Negotiating geographical thinking and political education through the GeoCapabilities approach
  • David Lambert  The ideal of a Future 3 Curriculum
  • David Orbring Re-contextualising development in teaching school geography --Teachers’ story in Sweden and Chin
  • Miao What’s the story? Recontextualizing internal urban structure in school geography using cases from China
  • Gabriel Bladh  Geography education and geographical knowledge practices

Le projet part d’un travail prospectif quant à l’avenir de l’enseignement de la géographie. David Lambert identifie trois scénarios possibles qu’il nomme "Future 1, 2 et 3". Le premier scénario est celui dans lequel l’enseignement de la géographie reste centré sur des sujets et des connaissances préalablement définis et qui sont une fin en soi. Ce sont des savoirs coupés de la société. Le deuxième scénario est celui d’un enseignement de la géographie coupé de son épistémologie, essentiellement centré sur la construction des compétences transversales. Le troisième scénario est celui d’un enseignement ayant une assise épistémologique solide mais qui est en prise avec l’expérience des élèves et qui a pour finalité de les aider à comprendre le monde. L’objectif du projet GeoCapabilities est de contribuer à l’avènement du scénario 3. 

Pour ce faire, le projet s’ancre dans la théorie d’Amartya Sen et de Martha Nussbaum sur l’économie du bien-être humain. Une capabilité désigne la capacité d’un individu à choisir son mode vie (pour en savoir plus sur la notion de Capabilité). Une GéoCapacité est la capacité de penser le monde par le biais de savoirs géographiques.
« La notion de GeoCapabilité clarifie le rôle que les savoirs et la pensée géographiques jouent dans le développement d’une personne éduquée. C’est une personne qui a la capacité de construire un point de vue sur le monde avec une assise disciplinaire. Les savoirs géographiques nous aident à appréhender le monde à travers l’expérience que nous en avons. » (Traduction Caroline Leininger – octobre 2016- version française du glossaire de GeoCapalities)

Pour développer les GéoCapabilités chez les élèves, les enseignants sont invités à identifier les Savoirs Disciplinaires Structurants (SDS) ou Powerful Disciplinary Knowledg (PDK). « Un savoir disciplinaire structurant est une forme de savoirs, souvent abstraite et théorique qui permet à quelqu’un  de comprendre, d’interpréter et penser  le monde dans lequel il vit. Les SDS ont un ancrage dans l’épistémologie disciplinaire. » (Traduction Caroline Leininger – octobre 2016- version française du glossaire de GeoCapalities)
Les SDS peuvent être de nature différente. Il y a des SDS pour :
·        Penser le monde. Ce sont des méta-concepts comme lieu, espace, environnement, interconnexion…  Pour analyser, expliquer et comprendre. Ce sont des concepts analytiques comme espace, répartition spatiale etc. Ou bien des concepts explicatifs comme agglomération, généralisation, modèle…
·         Pour développer la capacité d’empowerment des étudiants.
·         Pour participer à des débats locaux, régionaux ou globaux.

La notion GeoCapabilité est une contre-proposition à la notion des compétences. En effet, les pays anglo-saxons ont connu dans les années 2000 des réformes curriculaires centrées sur les compétences mettant parfois au second plan les savoirs disciplinaires. De la même manière qu’Amartya Sen ne fait pas de liste de capabilités. Il n’y a pas de liste des GeoCapabilités. Ces dernières visent à remettre les savoirs disciplinaires au cœur des apprentissages et à démontrer que la géographie peut contribuer à la formation citoyenne des étudiants dans une perspective d’empowerment (octroi de davantage de pouvoir et d'autonomie). C’est une manière de réaffirmer la place de la géographie dans le concert des disciplines. 

Lors du colloque, un participant a fait remarquer que toutes les autres sciences sociales ont les mêmes revendications que la géographie. Les capabilités ne sont pas disciplinaires. Richard Bustin justifie la notion de GeoCapability en la présentant comme un cadre pour aider les enseignants à se positionner et à positionner les contenus enseignés sur un plan épistémologique. Sa réponse ne permet pas véritablement de dépasser la contradiction interne à la notion de GéoCapabilité. Les capabilités s’inscrivent dans une approche holistique, systémique et complexe de l’éducation. Si nous saluons donc l’entreprise de légitimation de l’enseignement de la géographie et la promotion d’une approche épistémologique des apprentissages, nous pouvons sérieusement douter de la pertinence de définir des capabilités spécifiques à la géographie. Par ailleurs, l’inscription des capabilités dans un cadre disciplinaire implique une mise en forme scolaire, qui conduit ou conduira à une liste de Geocapabilité à travailler et évaluer comme les compétences, ce contre quoi le projet s’inscrit en faux.

Par ailleurs, la notion de savoir disciplinaire structurant est proche d’autres tentatives de conceptualisation de la géographie scolaire comme les propositions de Jean-François Thémines (Thémines, 2006) ou la notion de concepts intégrateurs (Hertig, 2009). La notion est également proche de celle de Pedagogical content knowlegde. Parler de SDS n’est donc pas novateur mais la pertinence de la notion découle de son contexte d’émergence. Les propositions francophones ne sont pas diffusées au sein de la géographie anglo-saxonne. 

Finalement, les modules de formation présentés en workshop après les deux sessions de communication permettent de développer des compétences épistémologiques et réflexives chez qui sont indispensables dans la professionnalisation des enseignants. C’est ce qui fait la richesse du projet.