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DE LA RECHERCHE A LA FORMATION

Nous avons créé ce blog dans l'intention de faire connaître les travaux de recherche en didactique de la géographie. Notre objectif est également de participer au renouveau de cette discipline, du point de vue de ses méthodes, de ses contenus et de ses outils. Plus globalement nous espérons que ce site permettra d'alimenter les débats et les réflexions sur l'enseignement de l'histoire-géographie, de l'école à l'université. (voir notre manifeste)

mercredi 27 mai 2015

dimanche 10 mai 2015

Où habite la géographie à l’école élémentaire ?

Où j’habite ? Ou plus littéralement comme l’écrit le projet de programme du CSP « Où est-ce que j’habite ? » constitue le premier thème de géographie proposé à la programmation du CM1 et à première vue l’habiter est le fil rouge de la géographie au cycle 3. Il s’agira dans cette contribution aux débats de partir de l’hypothèse que le renouvellement des programmes a pour but de renouveler les curricula réels et qu’ils sont destinés tant aux enseignants du primaire et qu’aux parents d’élèves.
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Le cycle 3 est présenté dans ce projet comme pédagogiquement étendu à  la sixième malgré la coupure sociologique et institutionnelle pour des disciplines enseignées ici par des enseignants polyvalents et là par des spécialistes. On se souviendra de ce qu’il est advenu du rattachement partiel de la Grande section de maternelle au cycle 2 de 1990 à 2008.
Regarder ces projets à partir des curricula réels est certes ambitieux, ceux-ci étant difficiles à saisir. Une expérience personnelle dans le département des Yvelines permet néanmoins de témoigner que les manuels de géographie sont de plus en plus rares dans les classes du primaire, que les enseignants ont largement recours à des ressources gratuites, et de qualité inégale, trouvées sur la Toile, que des fabricants de TNI proposent des ressources en géographie dédiées à leur support, que l’équipement en moyens TICE est très inégal.

La classe de sixième continuant à relever du collège, nous prendrons ici le parti d’étudier les propositions du CSP qui correspondent aux classes confiées au groupe professionnel des enseignants du primaire, de les mettre en regard de ce que l’on peut savoir des curricula réels en géographie dans le primaire, certes fort divers, mais structurés par des pratiques héritées auxquelles s’agrègent de plus en plus des éléments fournis par les TICE.

Aussi, depuis des décennies, à chaque changement de programme (1980, 1984, 1985, 1995, 2002, 2008, 2012), les enseignants du primaire ne se précipitent pas sur Quoi de neuf en géographie ? (en attendant le prochain changement), mais sont plutôt dans la logique du comment utiliser l’ancien dans le cadre du neuf, ne serait-ce que parce que les outils (manuels et autres ressources) ne sont pas renouvelés à la même vitesse que dans l’enseignement secondaire, mais très lentement au rythme des budgets municipaux et des priorités disciplinaires des maîtres.

Si l’on regarde les propositions pour le cycle 2 en ce qui concerne « Questionner l’espace et le temps » (cycle 2 pp 39-42), on constate une très grande continuité avec les programmes précédents. Le niveau de l’échelle locale, celui plus furtif de la France et celui de la planète sont présents. On retrouve des lieux et des niveaux d’échelle étudiés au cours élémentaire depuis plus d’un siècle. Certes dans les années 1970, une certaine lecture de Piaget (Debesse-Arviset, 1970) prétendait limiter l’horizon des jeunes enfants au local ou au régional, mais régulièrement depuis 1985 les programmes pour le CE rappellent, certes plus ou moins, que les jeunes enfants s’intéressent aussi aux hommes sur la planète. La continuité depuis 1995, c’est aussi  l’absence du mot géographie, dont on ne saisit toujours pas très bien l’intérêt de son remplacement par le mot « espace ». Disparition du mot géographie qui désormais s’étendrait au CE2. Mais peut-être n’est-il pas important de se focaliser sur les étiquettes, on se rappelle comment l’étiquette « éveil » a pu recouvrir dans un autre temps des pratiques qui n’avaient rien à voir avec la pédagogie de l’éveil.

Le programme de géographie pour les cours moyens est profondément modifié, une thématique centrée sur « l’habiter » le sous-tend apparemment jusqu’en sixième, mais avec de gros écarts, presque des intrus, sauf à dire que toutes les activités humaines sont del’habiter, de « consommer en France » à « communiquer d’un bout à l’autre du monde grâce à l’Internet ».
Pragmatiques, les enseignants du primaire vont confronter ces propositions à ce qu’ils ont l’habitude de faire, quand ils font un peu de géographie, voir ce qui disparait et ce qui peut continuer à être fait sous les nouveaux libellés.

Voyons d’abord ce qui disparait des progressions de 2012 pour le CM1. Disparait « les frontières de la France », on ne regrettera pas ce libellé dont on ne sait pas trop si il visait à baliser les frontières des eaux territoriales de la mer du Nord à la forêt guyanaise ou si il invitait à définir les différents types de frontières : pays de l’espace Schengen, de l’espace économique européen ou autres en Outremer. Disparaissent aussi les pays de l’Union européenne, en fait ce sont pratiquement toutes les cartes politiques qui risquent de disparaitre de la géographie des deux cours moyens. Ici il s’agit d’une rupture importante avec la tradition de la géographie à l’école élémentaire. On sait que cette discipline a été introduite à l’école primaire en Europe occidentale et en Amérique du nord au milieu du XIXe siècle, lors du mouvement des nationalités (Horacio Capel, 1977). Tout en contribuant à la modernité économique, la géographie scolaire avait pour mission de contribuer à construire l’identité nationale.

La géographie scolaire sert ainsi depuis longtemps de vecteur à l’initiation économique, les programmes de 2008 mettaient l’accent au CM1 sur le produire (une ZIP, une zone agricole, un centre tertiaire), le projet du CSP met lui l’accent sur le consommer (de l’énergie, un produit alimentaire) comme le faisait le programme de 1980.
Côté identité civique, la centration nationale  a été exacerbée par les programmes depuis 1882, les programmes de 1923 faisant de la France et de son empire le principal objet géographique du cours moyen et cours supérieur. Par la suite on a vu émerger les régions administratives et depuis 1995 l’échelle européenne à côté de la dimension nationale. Aujourd’hui, les études proposées au CM1 et au CM2  par le CSP se situent certes majoritairement en France, mais la France d’objet géographique devient un cadre pour des activités.

Cet affaiblissement de ce qui correspondait à la construction de l’identité française se traduit aussi au CM2 par la disparition de l’étude de la France d’Outremer et de la langue française dans le monde. Le premier thème proposé pour le CM2 par ce projet invite à étudier « Se déplacer », le deuxième « Communiquer d’un bout à l’autre du monde grâce à l’Internet » et le troisième « Mieux habiter ». Les pratiques enseignantes étant ce qu’elles sont, et la longueur des libellés dans ce texte ce qu’ils sont, on peut comprendre qu’un trimestre au CM2  serait consacré à étudier en géographie "Communiquer d'un bout à l'autre du monde grâce à l'Internet ". Saluons cette étude de flux, de réseaux et de serveurs en CM2, en nette rupture avec la pédagogie intuitive ! A moins que tout ceci ne se traduise en pratique dans les classes par un allègement considérable de l’horaire réellement consacré à la géographie, les enseignants de CM2 voyant mal comment consacrer un tiers de leur année de géographie à cette étude.

Enfin le dernier trimestre du CM2 serait un tantinet prescriptif « Mieux habiter » : « cohabiter avec la ‘’nature’’ en ville. Recycler. Habiter un éco quartier. » C’est dire que si la nation a disparu, l’idéologie n’a pas disparu des programmes de géographie. « Développement durable », trois fois l’expression revient dans la colonne détaillant  dans « démarches et contenus d’enseignement » les 6 thèmes proposés pour le CM2 (cycle 3 p.42),

Au total, au cours moyen l’entrée par les réseaux l’emporte sur celle par les territoires, On ne sait si les élèves du primaire auront vu une carte des régions de France ou du relief de la France. Au-delà de l’ambition légitime et remarquable de renouvellement épistémologique, il ne faudrait pas que les maîtres ne sachent plus où habite la géographie de leurs élèves de cours moyen
Entre « l’habiter » localisé  et le monde, entre des individus plus ou moins connectés et les réseaux plus ou moins mondialisés, les territoires (régions, Etats, Union européenne)  ne risquent-ils pas de devenir comme transparents pour les élèves du primaire ? Au cours moyen, l’emboîtement de territoires ne devrait-il pas avoir une place plus grande au côté de la superposition des réseaux ?
Quels canaux pour les réseaux et quels cadres pour les territoires faut-il mettre en avant dans l’acquisition de savoirs et de compétences à l’école élémentaire ?
Les réponses ne sont pas que didactiques, elles sont avant tout politiques, car ces réseaux et ces territoires sont ceux de la construction d’identités, de solidarités et de la citoyenneté.


Le 8 mai 2015, Jean-Pierre Chevalier
Université de Cergy-Pontoise, laboratoire EMA, Ecole, Mutations Apprentissages, EA 4507.

lundi 4 mai 2015

Nouveaux programmes scolaires : Géographes, à vos plumes !


Les premières moutures des nouveaux programmes scolaires du primaire et du collège sont désormais disponibles (à lire ici). Nos collègues historiens se sont déjà largement mobilisés pour commenter et débattre à ce sujet. Vous pouvez lire et/ou entendre :

- l'article du collectif Aggiornamento "Pour une critique constructive des nouveaux programmes d'histoire et de géographie"

- la réaction de l'APHG par le biais d'Hubert Tison interrogé sur i-TV "La réforme du collège : l'histoire en question..."

- la réaction d'Henro Rousso au Huffingtonpost.

- la réaction de Dimitri Casali
  



Que penser de ces nouveaux programmes en géographie ?

Ces nouveaux programmes s'inscrivent dans la lignée des précédents (2008) qui ont marqué une réelle rupture dans la discipline scolaire. Mettant fin à l'enseignement d'un tableau du monde dont l'organigramme était séculaire (Lefort, 1992), les programmes de 2008 ont promu une géographie thématisée et problématisée. Nous ne pouvons que nous réjouir que les programmes en cours de discussion s'inscrivent dans la même lignée.

Globalement, plusieurs avancées sont à souligner.

Une approche par compétences réaliste

Tout d'abord, ces programmes font un lien réel avec le nouveau socle de compétences et de culture, ce qui est cohérent. On peut ne pas être d'accord sur le fond avec une approche par compétences qui appartient à une vision néolibérale de l'éducation, position vers laquelle tend l'auteure de ces lignes. Néanmoins, une fois l'approche par compétences adoptée, il était nécessaire de mettre en cohérence les programmes avec ce socle, ce qui n'avait pas réellement été fait auparavant.

Cibler de manière précise quelques compétences à travailler rend faisable et réaliste une approche par compétences de l'histoire-géographie : se repérer dans le temps et l'espace, comprendre (et analyser en cycle 4) un document, s'informer dans le monde numérique, raisonner, pratiquer différentes langages en histoire et géographie et coopérer et mutualiser. La progression entre le cycle 3 et 4 a été pensée. Plusieurs questions didactiques restent néanmoins en suspens et invitent à la réflexion et au développement de recherches.

Les nouveaux programmes abordent la notion de tâches complexes qui a été définie par Dominique Michaux lors d'un séminaire DGESCO en 2010 comme des "tâche[s] mobilisant des ressources internes (culture, capacités, connaissances, vécu...) et externes (aides méthodologiques, protocoles, fiches techniques, ressources documentaires...). Elle[s font] donc partie intégrante de la notion de compétence." Cette notion est tirée de la didactiques des sciences. Certes, il y a déjà eu des expérimentations comme dans l'Académie de Clermont Ferrand (voir Les TâCos de Thucydide et de Rameau).

Néanmoins, il est nécessaire d'employer la notion de tâche complexe avec prudence car les taches complexes reposent sur des situations-problèmes. Or en sciences humaines et sociales, nous travaillons sur des situations problématiques et non des situations-problèmes qui sont de nature différente. La différence n'est pas que sémantique. (Gérin-Grataloup, Solonel,& Tutiaux-Guillon, 1994; Le Roux, 1995). La situation-problème repose sur un obstacle cognitif que l'élève doit dépasser pour réaliser l'apprentissage visé. En histoire-géographie, les situations d'enseignement apprentissage ne sont pas construites ainsi mais sont structurées autour de problématiques qui sont sociétales : comment gérer les risques ? comment vivent des société dans un environnement à fortes contraintes ? etc. Il est donc nécessaire d'approfondir à ce que sont, ou pourraient être, les tâches complexes en géographie.

Cela soulève aussi la question du raisonnement géographique puisque les programmes de cycle 4 définissent le raisonnement géographique comme le fait de "mener les différentes étapes d'une tâche complexe".

Pour résumer, une avancée réelle certes mais aussi des pistes de recherche à creuser. Au-delà des compétences, les programmes notamment celui de cycle 4 appellent également plusieurs réserves de nature épistémologique.

Des choix épistémologiques discutables

Les grandes thématiques qui structurent les cycles 3 et 4 sont sensiblement les mêmes que précédemment : l'habiter étendu au cycle 3, le développement durable et la mondialisation. Ce sont des questions socialement vives (Legardez & Simmoneaux, 2006) qui agitent notre société et notre discipline. Néanmoins, nous pouvons réitérer sur ce programme les critiques déjà émises dans sa version antérieure, notamment son franco-centrisme en primaire (Roumegous et Clerc, 2008).

Le concept d'habiter étendu à l'ensemble du cycle 3 pose un autre problème. L'habiter invite à analyser les pratiques spatiales des acteurs et la signification qu'ils donnent à des lieux ou à des espaces. Ce concept est le produit de notre culture française d'abord, et plus largement européenne. Il n'a que peu d'échos dans la géographie anglo-saxonne. Que dire alors de l'étude des modes d'habiter dans les villes nord américaines, si ce n'est que c'est une vision européano-centrée (voir franco-centrée) d'espaces non européens ? Nous pourrions contourner le problème épistémologique en considérant qu'il suffit d'étudier les pratiques spatiales des acteurs locaux sans parler d'habiter. C'est une autre difficulté qui surgit : celle des ressources. Il est difficile de trouver des discours d'acteurs ou des textes scientifiques en français permettant d'étudier les pratiques spatiales des acteurs d'espaces non européens et non francophones. Cela conduit souvent les enseignants et les manuels à enseigner l'organisation spatiale des espaces étudiés et non les pratiques des acteurs. C'est le résultat d'une ambiguïté en germes dans le programme de sixième de 2008 et toujours présente dans celui du cycle 3 de 2015.

La notion de développement durable pose une autre ambiguïté. Le développement durable est d'abord et avant tout une théorie politique. Son introduction au sein des programmes scolaires français découle d'un agenda politique international (Orellana et Fauteux, 2000). Que dire alors de l'introduction d'une théorie politique comme clé de lecture du monde ? Cela soulève des interrogations d'ordre éthique et politique, qui vont bien au-delà de la géographie scolaire mais qui méritent d'être pointée (Leininger-Frézal, 2009). Si nous comparons le développement durable à d'autres théories politiques comme le communisme, il y a une vraie différence de traitement entre les deux. D'une côté, nous enseignons le communisme comme un fait historique et une théorie politique alors que nous éduquons au développement durable... La géographie en tant que discipline à l'interface entre les sociétés et leur environnement, n'a pas besoin de convoquer le développement durable pour faire comprendre aux élèves les enjeux sociétaux contemporains.

Nous pouvons donc regretter que sur certains aspects, les programmes de 2015 ne permettent pas de dépasser des difficultés ou ambiguïtés déjà pointées dans sa version antérieure.

Ce texte a pour objectif d'ouvrir le débat parmi la communauté scientifique et éducative et de faire avancer la réflexion. A vos plumes...

Caroline Leininger-Frézal
Maitre de conférences
Université Paris 7
UMR Géographie-cité, équipe E.H.GO


Références citées :

Gérin-Grataloup, A.-M., Solonel, M., & Tutiaux-Guillon, N. (1994). Situations problèmes et situations scolaires en histoire-géographie : les didactiques de l’histoire et de la géographie. Revue Française de Pédagogie, 106, 25–37.

Lefort, I. (1992). La lettre et l’esprit, géographie scolaire et géographie savante en France. Paris: Edition du CNRS.

Legardez, A., & Simmoneaux, L. (2006). L’école à l’épreuve de l’actualité, enseigner les questions vives. ESF.

Leininger-Frézal, C. (2009). Le développement durable et ses enjeux éducatifs. Acteurs, savoirs et territoire. Lumières Lyon 2.

Le Roux, A. (1995). Le problème dans l’enseignement de la géographie. L’information Géographique, 5, 209–215.

Orellana, I. et Fauteux, S. (2000). L’éducation relative à l’environnement à travers les grands moments de son histoire, dans A. Jarnet, B. Jickling, L. Sauvé, A. Wals et P. Clarkin (dir.), Proceedings from an On-Line Colloquium. The Future of Environnemental in a Post-modern World? (p. 13-24). Whitehorse : Yukon College.

Roumegous, M. et Clerc, P. (2008). Le bon sens tout près de chez soi : les projets de programme de géographie pour l’enseignement primaire », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Débats, Les nouveaux programmes dans le primaire, mis en ligne le 03 octobre 2008, consulté le 04 mai 2015. URL : http://cybergeo.revues.org/20383



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