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DE LA RECHERCHE A LA FORMATION

Nous avons créé ce blog dans l'intention de faire connaître les travaux de recherche en didactique de la géographie. Notre objectif est également de participer au renouveau de cette discipline, du point de vue de ses méthodes, de ses contenus et de ses outils. Plus globalement nous espérons que ce site permettra d'alimenter les débats et les réflexions sur l'enseignement de l'histoire-géographie, de l'école à l'université. (voir notre manifeste)

jeudi 13 mars 2014

Résumé de l'intervention d'Olivier Mentz



Séminaire La fabrique de la géographie scolaire - 12 février 2014

 Géographie scolaire en Allemagne - science sociale ou science naturelle?

Olivier Mentz, Professeur, Université des Sciences de l’Éducation, Freiburg, Allemagne


Si on parle de la géographie scolaire en Allemagne il faut être conscient que l’on parle d’un système fédéral – ce qui veut dire que l’on doit prendre en considération 16 systèmes scolaires différents. De plus, l’éducation est quasiment le seul domaine, dans lequel l’état fédéral n’a pas d’influence parce que les Länder possèdent une autonomie absolue, garantie par la constitution, dans ce domaine. Seul la Conférence des Ministres de l’Éducation des Länder a une fonction d’harmonisation, mais n’a pas non plus de pouvoir décisif.
En règle générale, les systèmes éducatifs commencent par un jardin d’enfants (non obligatoire) jusqu’à l’âge de 5 ans. A l’âge de 6 ans, l’enfant entre en école primaire qui dure 4 ans. Chaque gouvernement régional dispose d’un système scolaire spécifique. Nous trouvons à ce niveau des établissements scolaires similaires au collègue unique (-> Gemeinschaftsschule, Gesamtschule), des établissements qui se différencient selon les aptitudes des élèves (Hauptschule Realschule, Gymnasium) ainsi que des établissements scolaires spécialisés pour des élèves avec divers handicaps. Finalement, pour atteindre le niveau bac, il faut avoir été scolarisé pendant au moins 12 ans et avoir suivi une formation au Gymnasium.

La place de la géographie à l’école
Contrairement qu’en France, la géographie n’a pas de statut garanti. Pour cette raison, sa place est constamment en modification entre discipline isolée (ou plutôt autonome) et/ou approche interdisciplinaire. Après des années pendant lesquelles la géographie avait un statut de discipline autonome (Erdkunde, Geographie), la demande d’une plus grande compréhension interdisciplinaire a mené les décideurs scolaires à inventer des symbioses de disciplines créant ainsi des conglomérats de disciplines plus ou moins utiles (p. ex. WZG : Welt-Zeit-Gesellschaft étant un mélange de géographie, d’histoire, d’éducation civique ; EWG : Erdkunde, Wirtschaftskunde, Gemeinschaftskunde étant un mélange de géographie, d’économie, d’éducation civique).
La force de la géographie dans ce développement dépend beaucoup de la puissance force des lobbys, c’est-à-dire des associations géographiques dans les débats de création de nouveaux programmes. Il faut aussi savoir que lors de chaque nouveau développement de programmes, les heures hebdomadaires de la discipline sont à nouveau à négocier – la géographie a ainsi perdu 2 heures de cours dans le cursus scolaires dans les dernières 20 années.

Le développement des programmes de géographie
La géographie est une discipline indépendante dans le système scolaire allemand depuis 1872. La fonction en était de connaître sa patrie et sa région d’origine ainsi que le monde. Il s’agissait d’une approche topographique, encyclopédique, additive, statique et descriptive. Cette approche fut dominante jusque dans les années 1950. Il s’agissait d’un apprentissage « en largeur » dénommé « länderkundlicher Durchgang ».

Dès les années 1950, le principe de l’exemplarité prend le devant dans l’éducation. Ce changement de paradigme oblige la géographie scolaire de modifier son approche. Il ne s’agira donc plus d’apprendre tous les détails comme une encyclopédie, mais de favoriser un apprentissage soi-disant « en profondeur ». On va donc constater que tous les pays ou paysages peuvent être regroupés selon des types (géographiques) particuliers. Sera donc choisi un pays/paysage représentant un type et qui sera étudié en détail pour connaître ainsi tous les autres pays/paysages de ce même type. Le Sahara représentera donc le type des déserts, les Alpes le type des hautes montagnes.

En parallèle se manifeste un changement de paradigme dans la science de la géographie. La géographie se socialise, devient donc davantage science sociale et définit sept fonctions de raison d’être des groupes sociaux (« Daseinsgrundfunktionen ») : vivre en communauté, habiter, travailler, se ravitailler, s’éduquer, se détendre, se déplacer. Ses sept fonctions influencent l’espace. Ce nouveau paradigme en géographie va trouver son entrée dans les programmes scolaires à la fin des années 1960 et annoncera le début du recul des contenus de géographies physique dans les écoles allemandes.

Dans les années 1970, la psychologie influence le développement de nouveaux programmes scolaires : il n’est possible de motiver des élèves à apprendre quelque chose uniquement s’ils comprennent pourquoi. Il faut donc définir clairement des objectifs cognitifs, affectifs et instrumentaux pour l’apprentissage. Les curricula vont donc dorénavant être différenciés selon les objectifs, les contenus, les méthodes, les médias ainsi que les contrôles de connaissances. La géographie sociale a influencé les contenus qui deviennent plus orientés vers les besoins futurs des élèves. Le terme de « Raumverhaltenskompetenz » prend son entrée ce qui veut dire que les élèves doivent être amenés à une compétence d’agir dans l’espace.

Au début des années 1980, l’on aperçoit un certain retour de la « Länderkunde », donc de cette approche thématique régionale du début du siècle. Contrairement à l’approche « ancienne », ce renouveau est marqué par l’influence des années 1950, donc le retour à l’exemplarité. La géographie scolaire s’occupe alors d’aspects régionaux, structurés en sujets thématiques ayant comme base un problème géographique à résoudre.
Au début des années 1990, l’importance de l’apprentissage global et interculturel ainsi que l’éducation au développement durable deviennent une obligation pour toutes les écoles et toutes les disciplines. Ainsi, les programmes de géographies sont également touchés et s’orientent dès ce moment davantage dans ces domaines.

Les études PISA ont été les derniers moments, d’un changement de paradigme dans le système scolaire allemand. Vu que les élèves allemands ne sont pas assez performants dans la vision des décideurs, les programmes devront être définis selon des niveaux de compétences à acquérir. On estime ainsi pouvoir élever le niveau des compétences des élèves. Cependant, une difficulté persiste : les enseignants (à tous les niveaux scolaires) ne savent pas si les compétences définies sont des compétences maximales, moyennes ou minimales – d’où une différenciation des compétences acquises selon les Länder, les types d’écoles, etc. Ces compétences sont toujours définies pour la fin de chaque cycle scolaire de deux ans – c’est la fin des programmes annuels.
 

Résumé de l'intervention de Chantal Déry



Séminaire La fabrique de la géographie scolaire - 23 octobre 2013

L’enseignement de la géographie au Québec : peut-on parler d’une « société distincte »?
Chantal Déry, professeure en didactique des sciences humaines, Université du Québec en Outaouais

 Cette présentation se veut le regard qu’une didacticienne de l’histoire porte sur l’état actuel de l’enseignement de la géographie au Québec. Bien que ce regard puisse paraitre particulier, il faut savoir que dans les universités francophones québécoises il n’y a actuellement qu’un seul didacticien de la géographie qui a un poste de professeur ce qui explique mon intérêt pour le sujet. Par ailleurs, comme il se fait très (trop) peu de recherche en didactique de la géographie en contexte québécois, les propos de cette présentation seront essentiellement basés sur mes observations personnelles.  
1-     Les programmes de géographie au Québec
Depuis 2001, année de mise en place des nouveaux curriculums au Québec, l’histoire et la géographie font partie du domaine de l’Univers social (US), ce domaine étant l’un des cinq qui compose le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ). Avec l’arrivée de la réforme, en plus de la mise en place d’une approche par compétences, le programme de géographie est devenu plus social. Certains aspects de la géographie physique ayant migré vers le domaine des sciences, la géographie enseignée est maintenant essentiellement culturelle et humaine et a notamment pour finalité d’amener l’élève à comprendre les enjeux liés aux territoires.

Dans le parcours de l’élève, la géographie est d’abord enseignée au 1er cycle primaire (élèves de 6-8 ans) par l’entremise d’une compétence visant le développement des concepts de temps, d’espace et de société. Par la suite, aux 2e et 3e cycles (élèves de 9 à 12 ans) le programme de Géographie, histoire et éducation à la citoyenneté (GHEC)[1] vise le développement de trois compétences dans lesquelles le concept de territoire est central. Malgré la place du « territoire » dans la formulation de chaque compétence et la présence de techniques géographiques dans le programme de GHEC, on constate dans les pratiques en classe que la géographie est « noyée » dans l’enseignement de l’histoire. Devant cette situation, le Ministère de l’éducation des loisirs et des sports (MELS) a mis sur pied un petit groupe de travail pour réfléchir à des pistes de revitalisation de la géographie au primaire. À l’heure actuelle, nous sommes dans l’attente de leurs conclusions.

Alors qu’au primaire la géographie est intégrée dans un programme avec l’histoire, au 1er cycle du secondaire (soit pour les élèves de secondaire 1 et 2 (12-14 ans)), elle fait l’objet d’un enseignement distinct et obligatoire (mais non certificatif). Encore une fois le programme[2] vise le développement de trois compétences, en plus de cibler cinq territoires types et 11 concepts principaux (voir tableau synthèse du contenu de formation, page suivante). Ce programme de géographie, qui s’étend sur deux années (sans que l’on précise ce qui doit être fait lors de la première et de la deuxième année du cycle), permet aux élèves d’aborder le Québec, le Canada et le monde, de cibler certaines techniques (comme le croquis géographique) et surtout d’étudier les enjeux et les acteurs.


Source PFEQ, domaine de l’univers social, programme de géographie, p. 316

 



Source : PFEQ, domaine de l’univers social, programme de géographie, p. 316

En 3e et 4e secondaire les élèves ne font pas de géographie, ils terminent toutefois leur cursus en 5e secondaire avec le cours obligatoire de Monde contemporain qui est un amalgame d’histoire, de géographie, de politique et d’économie[3]. Finalement, parallèlement à ce cours, il existe, depuis l’automne 2013, un cours optionnel de Géographie culturelle. Ce cours cible six grandes aires culturelles (arabe, occidentale, africaine, orientale, indienne et latino-américaine) et vise le développement de deux compétences, soit la lecture de l’organisation de l’aire culturelle et l’interprétation de son dynamisme. Actuellement l’offre et la demande pour ce cours semblent assez limitées, mais il faudra voir sur la durée!

2-     La formation des enseignants
Comme dans différents contextes nationaux, lorsque vient le moment de faire le portrait de la formation des enseignants, il faut distinguer la formation des enseignants du primaire de celle de ceux du secondaire.

Au primaire les enseignants sont avant tout des généralistes, ainsi, selon l’université fréquentée, ils auront reçu entre 3 et 6 crédits (sur une formation de 1er cycle universitaire qui en compte 120) de formation en didactique des sciences humaines (histoire et géographie). En plus d’une formation disciplinaire limitée, les formateurs sont davantage pédagogues et historiens que géographes. Résultat : la formation est souvent plus axée sur l’histoire et du même souffle les futurs enseignants conservent une vision assez limitée, voire caricaturale, de ce qu’est et peut-être l’enseignement de la géographie au primaire.
Au secondaire, alors qu’avant les années 1990 pour devenir enseignant de géographie il fallait minimalement 60 crédits universitaires en géographie, depuis les années 2000, et l’arrivée de la formation bi-disciplinaire, ce sont entre 15 et 30 crédits de géographie qui sont maintenant nécessaires. D’enseignant de géographie, les enseignants sont devenus enseignant d’US et la part de la géographie dans la formation initiale reflète la place que la discipline prend dans le parcours des élèves en US. En effet, comme il y a quatre années d’histoire et deux années de géographie c’est sans surprise que l’on retrouve deux fois plus de crédits disciplinaires en histoire qu’en géographie dans la formation des futurs enseignants.

Face à une formation initiale qui insiste somme toute peu sur la géographie, on pourrait penser que la formation continue en didactique de la géographie est bien développée. Or c’est loin d’être le cas! La formation continue de niveau universitaire est quasi absente, les conseillers pédagogiques dans les commissions scolaires qui soutiennent les enseignants en exercice sont présents pour offrir du support mais celui-ci est souvent limité en ce qui concerne la géographie. Il y a un congrès organisé annuellement pour les enseignants d’US mais encore une fois les ateliers offerts ciblent peu la géographie (à titre d’exemple, lors du congrès de 2013 sur une cinquantaine d’ateliers seulement deux ciblaient spécifiquement l’enseignement de la géographie). En marge de ces voies, il y a toutefois un réseau de soutien qui se développe, lequel prend notamment appuie sur le Groupe des Responsables en Univers Social (GRUS) et sur le site du RÉCIT de l’US (www.recitus.qc.ca), ce dernier proposant notamment des pistes d’activités pédagogiques.

 3-     Les pratiques didactiques
Sur la base des programmes en place et de la formation des enseignants quelle description peut-on faire des pratiques d’enseignement de la géographie au Québec? Tout d’abord il faut dire que les pratiques sont très diversifiées et qu’en l’absence de recherche sur cette question dans le contexte québécois, nous allons nous appuyer sur ce que nous observons en côtoyant différents enseignants du primaire et du secondaire.

Tout d’abord au primaire l’US est enseigné une heure par semaine, le plus souvent en prenant appui sur un manuel ou un cahier. Ainsi les pratiques mises en place par les enseignants sont très majoritairement magistrales et en ce qui concerne la géographie souvent limitées à de la localisation et de la description. Ainsi malgré la présence des trois compétences qui appellent un enseignement mettant l’accent sur l’interrelation territoire et société, les éléments liés au climat, à la végétation ou à l’utilisation d’une carte ou d’un atlas sont étudiés séparément et sans insister sur leur apport à une compréhension de « l’univers social ».

Au secondaire, alors que le programme appelle la mise en place de situations d’apprentissage complexes dans lesquelles on insiste sur le développement de compétences et le développement conceptuel, on remarque que la démarche se morcèle pour s’apparenter davantage à des exercices papier-crayon visant à compléter un cahier en perdant parfois de vue la globalité du projet. Actuellement il y a donc une assez forte prépondérance de l’approche magistrale mais ça et là on retrouve un enseignement axé sur la situation-problème qui persiste.

Ainsi alors que les programmes de géographie, au primaire et au secondaire, sont clairement marqués d’une ambition socio-constructiviste, les pratiques en classe sont souvent teintées de béhaviorisme, lequel caractérisait les anciens programmes (d’avant 2001).